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Diourka / Bernadette Lafont

Depuis le 5 septembre dernier, l'étrange festival, dix-neuvième édition, rythme les journées des parisiens avec son lot de raretés et de nouveautés. L'occasion pour THE END de revenir sur le cinéaste Diourka Medveczky, dont le seul et unique long-métrage Paul fut diffusé en 2010 pendant la manifestation lors d'un hommage à l'acteur français Jean-Pierre Kalfon. Un coffret dvd de son oeuvre est sortie en fin d'année 2012 sous l'impulsion de la regrettée Bernadette Lafont qui fut la compagne de Diourka Medveczky.


Artiste d’origine hongroise, Diourka Medveczky fuit le régime communiste et s’installe en France dès 1948. Il a alors 18 ans. Sculpteur, céramiste, il rencontre Picasso qui deviendra son mécène. En 1959, il expose une vingtaine d’œuvres à Paris. Il est immédiatement repéré par la critique et les collectionneurs. C’est à cette époque qu’il rencontre Bernadette Lafont, dont il aura 3 enfants. Dès 1967, Diourka s’intéresse au cinéma. Il réalise deux courts-métrages, « Jeanne et la moto » (1968) et « Marie et le curé » (1969), et un long métrage, « Paul » (1969). Malgré un énorme succès critique, Diourka renonce au cinéma, et se retire à la campagne. Il vit aujourd’hui dans les Cévennes. 

Réunissant Marie et le Curé (1968 - 35 minutes), Jeanne et la moto (1969 - 17 minutes) et Paul (1969 - 90 minutes), ce coffret propose également deux documentaires de 69 et 59 minutes signés Estelle Fredet et André S. Labarthe intitulés respectivement Diourka, à prendre ou à laisser (2012) et  Bernadette Lafont, exactement (2007). Adjoint à l'ensemble, un livret de 16 pages rédigé par Bernard Bastide (Docteur en études cinématographiques et audiovisuelles et auteur de monographies sur Louis Feuillade, Jacques de Baroncelli et avec Agnès Varda pour Varda par Agnès aux éditions Cahiers du Cinéma) vient témoigner du choc des films sur la critique de l'époque. Pourtant, la non distribution en salle de Paul et la quasi invisibilité de l'oeuvre du cinéaste entraina l'oubli d'un artiste unique, sorte de trait d'union entre le cinéma de l'est et la nouvelle vague française.

Dans le numéro de septembre des Cahiers du Cinéma, Stéphane Delorme rend au hommage à Bernadette Lafont à travers le film Marie et le Curé (1967) ainsi qu'au film de Garrel, Le Révélateur. Voici un extrait :
"La voix de Bernadette Lafont est inoubliable. En 1967-1968, elle vit pourtant une courte période muette, le temps de deux chefs-d’œuvre. C'est son physique de muse charbonneuse, de Musidora tardive, de Theda Bara coquine qui l'apparente aux stars du cinéma muet. Avant ses coiffures peroxydées des années 80, elle est une actrice du noir et du blanc [...]. Elle tourne en 1967, Marie et le Curé, son premier film sous la direction de son compagnon Diourka Medveczky, un moyen métrage complètement bunuelien dans lequel, en servante aguicheuse, elle tente et fait chuter un prêtre fébrile. Quelques brises de phrases postsynchronisées, pour le reste un air espiègle, des bottes en cuir et l'insolence innocente du péché. L'an passé, l'édition dvd chez Filmedia de ce sommet surréaliste aux côtés de Paul, son second film film avec Medveczky, était un événement. "
Stéphane Delorme in Cahiers du Cinéma #692 - p.85
Toujours dans la mythique revue, on apprend qu'un ouvrage écrit par Bernard Bastide en étroite collaboration avec Bernadette Lafont va voir le jour en octobre prochain.
Bernadette Lafont mène sa vie tambour battant, libre, passionnée et attachante ; plus particulièrement sa vie d’actrice, exigeante, professionnelle et toujours émerveillée d’être devant les caméras. Dans ce livre, elle retrace avec Bernard Bastide, fan depuis longtemps et devenu son assistant, sa carrière impressionnante. Elle évoque aussi son parcours, son enfance, les maisons où elle a vécu…

352 pages | 49 euro

Proposant plus de 500 documents, ce livre risque d'être l'ouvrage définitif sur la muse de la Nouvelle Vague et de rendre obsolète les précédents comme Le Roman de ma vie et La Fiancée du cinéma dont on a extrait divers passages pour connaitre le versant intime de Diourka par l'actrice qui a partagé durant dix-huit ans la vie de l'artiste.

Sur Diourka :
"J'ai connu Diourka, à un moment de ma vie où ma disponibilité n'avait d'égal que mon ambition. Diourka ne parlait que de lui et pour lui, ne vivait que par rapport à son égo dont il accomplissait les quatre volontés avec enthousiasme.
Il était issue d'une famille de la grande bourgeoisie hongroise. Tous ses frères, comme son père, étaient devenus médecins. Diourka avait refusé cette alternative si peu seyante à un tempérament de vague à l'âme solitaire. A dix-huit ans, il passait la frontière de son pays à plat ventre pour échapper aux rafales des armes automatiques. Sans papiers, il avait erré dans Paris et dait de la taule avant de se retrouver dans l'atelier de céramique de Picasso, un an plus tard. [...] Diourka menait une vie non planifiée ; nous vivions à l'unisson du jaillissement de ses idées, d'impulsion en impulsion."
Sur Paul :
"Papa Diourka tourne Paul.
- J'ai un rôle pour toi.
Le ton a changé. Il est celui de l'employeur. J'avais déserté la campagne. Notre campagne. Rien à dire : nous entrions dans l'ère des représailles. [...] je file dans les Cévennes. Diourka m'attend. Pas l'homme, le metteur en scène.
Avant de prendre le train, une ultime précaution : changer de gueule. N'avait-il pas grésillé dans le téléphone :
- Je ne veux pas de la Bernadette Lafont, l'actrice qui a des tics d'artiste.[...] Les Cévennes ! Celles de la maison magique d'une enfance où l'état de petite fille hésitait devant celui de mec. J'arrive dans la ligne de mire de Diourka une petite ceste de lapin rouge sur le dos.
Une nouvelle fois, j'investis la maison maternelle. Dans la grande pièce, les enfants sont là. Ils me regardent, les yeux écarquillés. L'équipe du film loge à l'hôtel, au village, bien à l'écart de notre microcosme.
D'habitude les tournages sont pour moi des trouées dans le ciel gris ; protégée par la machinerie du cinéma, je me dévergonde dans les sentiers de la liberté. Le tournage de Paul fut une épreuve dans tous les sens du terme. Les premiers jours, je ne fus d'aucun plan.
- Il faut te désintoxiquer de tout ce cinéma... après, on verra.
Diourka son harem, moi et nos scènes de ménage tonitruantes faisions vibrer les murs de pierre de la maison [...]
Un matin, Claude Makovsky (producteur de Nelly Kaplan, Ndr) arrive, un journal à la main :
- Formidable ! Paul a obtenu les deux prix au festival d'Hyères.
Coup de téléphone de Bulle (Ogier, Ndr) :
- Formidable ! (ça je le savais déjà ; la suite, par contre, est nettement plus marrante) Diourka a fait un vrai tabac en recevant le prix. Après la proclamation, il est monté sur scène. Là devant la presse, la radio, la télévision, il a sorti son sexe et l'a pointé avec une extrême dignité. Une poignée de gardien de la paix, à moitié endormis, l'emmenèrent au poste.
Bernadette Lafont in La fiancée du cinéma - Ramsay Poche cinéma (1978)
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Marie et le curé : 3 décembre 1956 : Guy Desnoyers, curé d'Uruffe, assassine sa jeune bonne enceinte de lui
Jeanne et la moto : les amours et séparations de Jeanne et Paul, un couple de motards.
Paul  : Paul fuit sa famille bourgeoise et parcourt la France. Il se lie avec le "pèlerin" et son groupe de sages, qui fuient eux aussi la société.

En vente sur theendstore.com 
Prix : 25 euro

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