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José Mojica Marins | The Coffin Joe Collection

Pour faire suite à la présentation du coffret The Coffin Joe Collection, voici le portrait du réalisateur par un journaliste que nous affectionnons particulièrement à THE END, Jean-Baptiste Thoret paru dans Starfix, nouvelle génération.


L'horreur made in Brazil
Au Brésil, Jose Mojica Marins s'est surtout fait connaitre dans les années 60 grâce à un show télévisé, Ciné Trash, qu'il présentait sous les traits de Zé do Caixao (rebaptisé Coffin Joe en anglais). Méprisé par les classes moyennes de son pays (qui ne voyaient en lui qu'un imposteur hérétique à clouer au pilori), mais adulé par les classes populaires et les intellectuels, José Mojica Marins fut, historiquement, le père du cinéma d'horreur brésilien, et esthetiquement, le Glauber Rocha du genre. Depuis une trentaine d'années Marins est l'un des personnages publics les plus populaires au Brésil, grâce à ses films bien sûr, mais aussi à ses comics, ses disques, ses romans photo et surtout Zé do Caixao, son effigie, devenu même une ligne de produits déclinée en savons, vernis à ongles et shampoings.

Né en 1929 à Vila Anastcio, un quartier pauvre de Sao Paulo, Jose Mojica Marins tourne ses premiers films en 8mm grâce à une caméra que lui offre son pére. Les cirques de fortune et les arrières cours deviendront dès l'âge de 13 ans ses salles de projection. En 1953, il crée sa propre (et très modeste) compagnie de production et réalise en 1960 son premier long-métrage (un mélodrame). En 35 ans de carrière, Marins s'essayera à tous les genres : le detective movie, le film érotique, le film d'aventure (Sina do Aventureiro, premier film tourné en Cinémascope au Brésil) mais s'illustrera surtout dans le film d'horreur. Ignorée par la plupart des encyclopédie du cinéma, la carrière cinématographique de Marins prend son véritable élan en 1963. Suite à un rêve dans lequel il se vit trainé dans un cimetière par un individu en cape noire, il imagine le personnage de Zé do Caixo (littéralement "Zé du cercueil, l'entrepreneur de pompes funebres) qu'il met en scène dans ce qui devienda le premier film d'horreur brésilien, A Meia-Noite Levarei tua Alma (réalisé la même année que Carnival Of Souls de H. Hervey, autre grand film méconnu). Tour à tour sorcier illuminé, psychopathe sadique, prêtre cruel de l'horreur zaroffienne, Zé (incarné par Marins lui-même) ouvre la plupart de ses films par un préchi-précha mystico-cosmique où le cinéaste-acteur expose ses théories sur l'Homme, le cosmos et l'enfer. Tourné en douze jours dans une synagogue, A Meia-Noite raconte la quête de Zé (en fait, une série de torture à la fois gore et raffinées), parti à la recherche de la femme idéale qui portera son enfant. Au Brésil, le film remporte un immense succès et transforme Marins en culte vivant. Suivront d'autres cauchemars dont Esta Noite Encarnarei no teu Cadaver (1966), O Estranho Mundo do Zé do Caixao (The Strange World of Coffin Joe, 1968) et surtout Ritual dos Sadicos (1969), qui s'interesse à un groupe d'individus cherchant à experimenter la terreur via le L.S.D.. Au milieu du film, Marins imagine une émission de télévision dans laquelle il doit répondre de ses "oeuvres" devant une cour dite "de la vérité". Charlatan ou génie maudit, le jury doit trancher tandis qu'en voix off, le présentateur nous apprend que Glauber Rocha (auteur du Dieu noir et le Diable Blond - 1964 - et surtout chef de file du "nuovo cinema" brésilien) et Anselmo Duarte (auréolé à Cannes en 1962 de la Palme d'or pour O pagador de Promessas, Duarte appartient à une veine plus académique, garant d'une certaine "qualité brésilienne") "considèrent Zé do Caixao comme un artiste primitif et un authentique metter en scène". Objet déroutant et hybride, Ritual dos Sadicos évoque la période la plus iconoclaste de Bunuel (L'age d'Or et Viridiana surtout), le Ferreri de La Grande Bouffe, Lanuit des morts-vivants et le courant surréaliste (au début du film, une femme subit les avances crasseuses de son futur employeur, un clone bouffi de Zero Mostel, lequel prendra successivement l'apparence d'un porc, d'un chien et d'un cheval). Scato, hérétique, profondément antireligieux, Ritual s'achève dans une vision dantesque et en couleur d'un enfer dirigé par Zé.
Sadique moins esthète qu'un Jess Franco, plus poétique (certaines images de A Meia-Noite évoquent Franju), Marins est un artiste primitif, cadrant montrant, mixant ses films à la manière d'un illusionniste découvrant le septième art. Il y a chez lui un art inné du collage, quelque chose de Méliès (tous les trucs de substitution du magicien de Montreuil y passent), du Jodorowski première période (Fando y Lis et El Topo) et surtout Pasolini (Accatone) dans sa façon de capter frontalement ce qu'il filme (d'où la valeur documentaire et sociale de chacun de ses films) et de laisser la matière brute produire ses accidents (les corps transpirants, la misère des quartiers pauvres de Sao Paulo avec ses bordels miteux et ses clients ivres). Ses faux-raccords, ses récits peu orthodoxes, sa direction d'acteurs (forcément inéxistante) ne sont donc pas les simples conséquences de tournages fauchés (en ce sens, on est très loin de l'"esthétique" nanar des films d'Ed Wood), mais d'une volonté naïve et touchante (néo-réaliste ?) d'expérimenter les possibilités magiques du cinéma. Dans Finis Hominis, réalisé en 1970 et interdit 18 ans au Brésil, un homme (Marins lui-même) apparait sur la plage de Santos et sème le trouble dans la ville de Sao Paulo. Messie moderne (chaque scène du film revisite un épisode des Écritures), cet Antéchrist déguisé en fakir finit par délivrer sa Parole, tel Moïse, au sommet d'une colline, avant de franchir dans le dernier plan du film les grilles d'un sanatorium.[...]


Jean-Baptiste Thoret in Starfix #7, Juillet-Août 1999 - p50/51

source : Starfix

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