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Rétro-viseur : Darkly Noon | Philip Ridley (1995)

Profitons de l'été mais surtout de la sortie en dvd du nouveau film de Philip Ridley (Heartless*) pour inaugurer une nouvelle rubrique : le Rétro-viseur.
L'objectif est de vous proposer des articles, des critiques qui permettent de mettre en lumière des films méconnus mais également de pouvoir relire des avis qui nous semblent important d'exhumer. En effet, la passion qui anime votre serviteur et le blog vient également de la rencontre avec des journalistes, de leurs papiers et de leurs sens critiques.

Jadis, certains journalistes cinéma étaient "vénérés", suivis, débattus (je ne vous ferais pas l'affront d'un name dropping) aujourd'hui à l'exception de quels noms familiers qui reviennent avec obstination dans des revues, des bonus dvd ou sur Internet l'engouement semble ce restreindre à un noyau de cinéphiles.


Disponible à partir du 5 juillet, Heartless est le troisième long métrage du réalisateur anglais en 20 ans. Une œuvre rare qui ne comporte que des films époustouflants à commencer par L'enfant miroir (1990) et Darkly Noon (1995) dont nous vous proposons la critique de Luc Lagier parue dans L’Écran Fantastique lors de sa sortie en salle en 1996.

Auteur d'un premier long métrage très prometteur en 1990 avec L'enfant Miroir, Philip Ridley, peintre, écrivain et dramaturge britannique, signe avec The Passion of Darkly Noon une second œuvre tout aussi surprenante, mélange marquant d'un réalisme angoissant et d'un fantastique des plus troublants, flirtant avec l'univers de David Lynch. En plongeant le spectateur dans un été hypnotique profond, Ridley confirme sa réputation de cinéaste du bizarre en même temps qu'il perfectionne les effets de son film au profit d'une bouleversante histoire...

La passion selon Darkly Noon
(rappel de l'histoire)[...]
Comme l’histoire et son titre l'indique, Darkly noon est une œuvre fortement imprégnée de la religion chrétienne, multipliant les allusions et emprunts aux textes bibliques. La passion de Darkly Noon (nom choisi au hasard par ses parents dans la Bible) renvoie de manière évidente à celle du Christ alors que la scène où il se flagelle le corps avec des barbelés évoque la couronne d'épines que le Christ porte durant la Passion. Le film illustre le thème du péché, cristallisé par Callie (superbe Ashley Judd, déjà vue dans Heat), jeune femme au corps parfait et aux tenus provocantes qui plonge Darkly Noon dans une grande confusion intérieure. Il faut d’ailleurs la contempler mangeant une pomme (le fruit du péché) devant Noon, alors qu'un rayon de lumière se fixe sur son décolleté, pour mieux saisir son trouble. Callie est bien le personnage qui, peut-être malgré elle, fait basculer l'histoire vers la tragédie et chasse tous les habitants de ce paradis terrestre constitué par cette forêt au bout du monde.

Ange ou démon
Darkly Noon emprunte également beaucoup à l'imaginaire des contes de fées. On retrouve notamment de nombreux éléments symboliques comme la foret, le lac ou la boite dans laquelle Noon cache tous ses objets personnels. Pour autant, Philip Ridley ne verse pas dans la psychanalyse facile (toujours intimement liée aux contes de fées) et ne cherche surtout pas à expliquer le caractère de son personnage principal. Le recours aux contes permet surtout au cinéaste de retrouver une fraicheur et une innocence, mais également de placer son œuvre sous le signe de la complicité et de l'évidence, qui caractérise également les paraboles bibliques et les tragédies sous-jacentes durant tout le film. L’intérêt de Darkly Noon ne réside pas dans la scène finale (pourtant impressionnante) mais plutôt dans la dégénérescence de ce paradis terrestre. Des plans qui s'éternisent, ou au contraire, un montage sec, des coupures électriques, des gouttes rouges (peinture, reste de fraise, larmes de sang...) ou la fabrications de cercueils annoncent les explosions électrique et la profusion de pourpre qui caractérisent le final. Le drame de Darkly Noon résonne cependant comme une prophétie et renvoie alors à l'aspect biblique si présent. Il n'y a pourtant ni pardon nui rédemption, Ridley allant jusqu'au bout d'un film film finalement cathartique.
Parce qu'il a un choix à faire (toucher Callie ou non), Darkly Noon est profondément marqué par le double. Son comportement est sans cesse hésitant, jusque dans sa manière de parler (bégaiement), s'habiller (il porte une chemise stricte, puis un tee-shirt) et de se coiffer (les cheveux ébouriffer succèdent à une coupe rigoureuse). Noon devient un personnage effrayant car réellement imprévisible. La scène où il se peint le corps d'un rouge clinquant et souligne de ses yeux en noir, l'assimile automatiquement à une figure diabolique en désaccord total avec son personnage évangéliste initial.

Au cœur des ténèbres
Comme son titre l'indique, The Passion of Darkly Noon est un film sur le décalage, celui de son personnage principal mais également de l'environnement dans lequel évoluent protagonistes. La forêt et ses ténèbres, même en plein midi (darkly noon), proposent un éclairage inhabituel sur la tragédie qui se prépare. Le spectateur en arrive à douter de nombreux éléments bizarres, comme ce personnage muet adeptes des tours de magie, et ne maitrise pas totalement les bois, qui deviennent une véritable matière englobante et étouffante. La scène de mutilation où Noon se flagelle avec des fis de barbelés accentue cette notion de d&calage dans la mesure où la bande-son (un slow larmoyant) contraste avec sa souffrance alors que les gouttes de sang peuvent s'assimiler à des larmes de souffrance. Enfin et surtout, Darkly Noon se démarque de la production habituelle par un montage extraordinairement inventif, à la fois motivé par des effets immédiats, destinés à induire une ambiance étrange, mais aussi par ce récit. Les plans deviennent alors de véritables battements de cœur, de pulsions de vie. Le montage efface également souvent les personnages, qui sortent du cadre brutalement ou apparaissent au milieu d'un décor vide, filmé comme des fantômes hantant les bords de l'écran.
Si on ajoute à une thématique très riche et à un visuel impressionnant et moderne interprétation très forte, on détient avec The Passion of Darkly Noon un petit bijou de lyrisme et de mystère, une œuvre rare car sortant des sentiers battus.


L’Écran Fantastique #153, Septembre 1996 - page 13


Darkly Noon, jeune rescapé du massacre d'une communauté religieuse, erre dans la campagne américaine jusqu’à l’épuisement. Il est recueilli par un jeune couple, Callie et Clay, qui vivent dans une baraque isolee au coeur d'une foret. Darkly se remet peu peu et se prend d'une violente passion amoureuse pour Callie. Cet amour le conduira a la folie puis a la furie.

Bonus :
Commentaire audio du réalisateur, Bande annonce, Notes de production

Le film Darkly Noon est disponible auprès de THE END à commander en envoyant un mail à theendstore(at)gmail.com

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* le film Heartless est disponible avec le numéro d'été de Mad Movies

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