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The Cat, The Reverend and the Slave

Combien de films sortent chaque semaines ? Certains diront beaucoup trop mais combien de films parviennent à avoir une existence viable en salle ? A qui la faute ? aux distributeurs qui ne peuvent payer des copies supplémentaires, aux exploitants trop frileux, aux spectateurs peu aventureux ?

Ce qui est sûr, c'est que le dvd permet (des fois) à un film de trouver son public dans toute la France et pas seulement à un microcosme parisien, et le documentaire de Alain Della Negra et Kaori Kinoshita mérite une Seconde Vie.


Markus est un furry : l’animal qui sommeille en lui est un chat. Benjamin est un pasteur moderne : il prêche les évangiles dans une église virtuelle. Kris est un maître goréen : il contrôle la vie sexuelle de ses esclaves depuis sa chambre... Un documentaire sur trois communautés emblématiques de Second Life, à la frontière entre virtuel et réel.

Alain Della Negra et Kaori Kinoshita travaillent depuis 10 ans le rapport entre l'identité individuelle et les avatars : personnages virtuels, masques et déguisements, phénomènes communautaires... The Cat, the Reverend and the Slave est le premier film d'un dyptique Mutants dont la seconde partie La Suisse Mutante sur les grandes prophéties apocalyptiques est en cours de tournage.

Bonus
Deux films inédits en DVD qui prolongent l’expérience des mondes virtuels :
> LA TANIERE (2009, 29 min)
Des animaux qui sont des hommes nous racontent des histoires d’animaux.
> NEIGHBORHOOD (2006, 17 min)
Leurs récits ne sont pas tout à fait vraisemblables, ils les ont pourtant vécus. Ce sont des Sims.

Propos des réalisateurs
À l’origine, nous voulions faire un film sur le rapport qu’entretient le joueur avec son avatar. Nous avions l’idée d’un film d’anticipation. Nos vies futures se joueront peut-être sur des mondes du type de Second Life, sur des plateformes de jeux vidéo. Déjà, aujourd’hui, nous avons tous des identités online, un avatar, un pseudo, un compte sur un réseau social… Si Second Life nous attire particulièrement c’est qu’il redonne de l’incarnation à ces identités virtuelles. Il faut réellement faire vivre une vie à son avatar, mais, contrairement au jeu vidéo, il n’y a pas d’objectif à atteindre, on se retrouve assez vite face à la question « à quoi sert de vivre ? » qui mène naturellement à la fiction. Aujourd’hui les héros se multiplient, notamment par le biais du virtuel. Ce sont ceux que nous voulions rencontrer.


En retour, ce qui nous passionne c’est le phénomène complémentaire : la transformation du fictif en réel, travail, relations, argent, langage. Nous jouons alors sur les similitudes avec la réalité. D’avantage que le sensationnel, c’est le quotidien des simples résidents qui est passionnant. La façon dont un joueur récurrent raconte la vie de son avatar peut être très émouvante, et demande un réel effort d’imagination à celui qui l’écoute. Dans notre film, nous voulons montrer comment un événement, ayant pris place sur le réseau, peut avoir des conséquences dans la vie réelle. Comment ces deux vies se mélangent (l’argent, l’amour, le social) ? Les personnages que l’on filme, sont en effet de parfaits exemples avec des histoires tristes, comme des histoires heureuses.
Les joueurs de Second Life parlent sans distinction de leur vie et de celle de leur avatar. Pour eux, “seconde vie” ne signifie pas “vie simulée“, mais “vie prolongée“, déployée comme un moyen de communication et de partage d’expérience supplémentaire. Aussi, n’y a- t-il pas vraiment de distinction nette à faire. Un événement ayant existé sur le réseau, a forcément des conséquences dans la vie réelle. C’est au spectateur de jouer entre ce qu’il voit - des personnages dans la vie réelle - et ce qu’il entend - des personnages qui parlent de leur vie virtuelle.
Nous étions trois sur le tournage : l’un au son, l’autre à la caméra, le dernier au volant. Nous avons sillonné les Etats-Unis pendant trois mois. Nous filmions 2h par jour - la taille du disque dur de notre caméra. Nous avons rencontré une trentaine de joueurs, sans jamais retourner au même endroit. Une sorte de road-movie par l’internet. Auparavant, nous avions passé une année et demie dans Second Life, et nous avions une liste de contacts assez longue. Le dispositif que nous avions mis en place était tellement excitant, que nous avons vite été gagnés par la frénésie de toujours repartir rencontrer le personnage suivant. L’idée du film s’estompait pour laisser place à la collecte, à l’expérience de la rencontre. Passé le petit choc de la rencontre réelle, nous étions vite à l’aise. Tout avait été déjà pas mal préparé sur Second Life, où Capricci Films, notre producteur, avait loué une salle de cinéma pour présenter des rushes ou des courts métrages. Nos personnages voyaient bien où se situait notre intérêt, et le jeu de la mise en scène prenait naturellement place dans leur quotidien.
Le montage a été un vrai casse-tête. Trop de personnages, trop de conversations incompréhensibles pour un non-initié. Au départ, nous voulions un film reproduisant notre parcours sur Second Life, passant très vite de l’un à l’autre… or, le film devenait vite épuisant et difficilement compréhensible. Aussi, nous avons opté pour une version plus simple et plus pédagogique, présentant les personnages à tour de rôle, du matin au soir, chacun dans son quotidien. C’est plutôt dans la vie du joueur que se mêlent les situations, à cause de l’extension que représente sa seconde vie, dont il doit aussi assurer le quotidien.

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No life ?
Déjà coutumiers de docs expérimentaux traquant les fantômes virtuels qui hantent notre réalité (Neighborhood en 2006, consacré aux joueurs de Sims), Kaori Kinoshita et Alain Della Negra franchissent cette fois la barrière de Second Life, univers virtuel installé sur le Net qui compte aujourd'hui des milliers d'adeptes. Et donc d'avatars, ces êtres de substitution qui permettent de vivre une vie marginale. Le chat, le révérend et l'esclave sont trois des joueurs que Kinoshita et Della Negra ont croisé au cours de leur périple américain et dont ils ont enregistré le témoignage. On voit vite le piège dans lequel les deux cinéastes auraient pu tomber, celui d'une vision à charge exploitant le pathos de cet homme "furry" tout entier tourné vers le cmoing out de son être-chat ou de ce couple de croyants bien trempés, petites grenouilles de bénitier ici, mais prêcheurs stars là, dans une vaste île église, qu'ils ont érigée sur le Net. Contre tout attente, et c'est ce qui fait tout le prix de ce documentaire dont on finit par ne plus savoir s'il est effrayant ou fascinant, symptomatique ou insolite, The Cat, The Reverend and The Slave s'installe avec empathie au cœur de l’ambiguïté, voire de l’indistinction qui structure la façon dont ces joueurs envisagent, ou plutôt n'envisagent pas, l'écart entre la vie réelle et Second Life, à tel point qu'entre les deux univers de curieux effets de sablier s'opèrent : une femme perdue dans la "vraie vie" et retrouvée par son mari sur le réseau, une autre qui reproche à son compagnon d'avoir ouvehttp://www.blogger.com/img/blank.gifrt un salon porno virtuel. Le film s'achève par une sorte de retour aux sources, dans le Black Rock Desert du Nevada, lors du "Burning Man", fête post-hippie qui se déroule chaque année à la fin du mois d'août et qui regroupe des milliers d'individus bariolés testant la possibilité d'une communauté parallèle dont le créateur de Second Life se serait inspiré.
Jean-Baptiste Thoret in Charlie Hebdo #952 du 15 septembre 2010.

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Prix : 16 euro

A commander à theendstore(at)gmail.com

Source : Capricci

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