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Independenza ! Part 15 : Yellow Now

Avant d'être un éditeur de livre consacré au cinéma, Yellow Now était une galerie d'art à Liège. Fondé en 1969 par Guy Jungblut, les ouvrages sont apparus tout naturellement dans le sillage des activités de la galerie. Celle-ci fermant ses portes en 1975, le propriétaire continua à proposer des livres.
Mais c'est seulement en 1985 que le cinéma prend place avec "Les Voyages de Wim Wenders" de Catherine Petit et aujourd'hui encore Yellow Now propose des bouquins passionnants, véritable bonus au film, apportant un éclairage de qualité sur des films comme des réalisateurs aussi bien méconnus que reconnus. Voici quelques titres disponibles à la boutique.


RIFFS POUR MELVILLE
Jacques Déniel / Pierre Gabaston (dir.)

ENVIE DE MELVILLE
Une rétrospective Jean-Pierre Melville au cinéma Jean-Vigo de Gennevilliers, en 2008, décide de ce livre qui convainc sur-le-champ tous les auteurs, rassemblés ici, à venir avancer leur improvisation. Détacher leurs notes bruissées ou frappées. Phrases thématiques ou impromptues affichent leur goût de Melville. L’affirment. Des riffs, donc une qualité d’exécution. […]

[…] Chemins de l’aléatoire et de la rêverie que ce projet éditorial. Pour voir ! Pour mieux dégager l’inclination que chacun porte à cette œuvre qui court de 1947 à 1973. Treize films. Un nombre. Celui du recommencement d’un auteur porté à reprendre et moduler ses inspirations créatrices. Riffs pour surprendre – braver – le jaillissement d’une révélation méconnue jusqu’alors et qui force l’appareil critique habituel réservé à l’auteur du Deuxième Souffle. Voie pour activer nos recherches ; raviver l’imagination du lecteur. Notre prise de risques. Melville exigeait pareil appel. Manouche, Jeanne, Mathilde, ses grandes dévouées magnétiques, fourvoyées, perdues, n’en attendaient pas moins. Et Faugel, Costello, Corey ? Eux aussi, non ? Pour eux tous, épousons les fugues de la pensée imaginante. Ou notre envie d’écrire sur Melville.

Riffs pour Melville délaisse un peu le lustre de truands qui écourtent leur sort dramatique sous l'influence d'une déréliction ; leur culte, leur passion. Aujourd’hui ils reviennent sur les écrans aussi étranges que les Inuits de Flaherty. Comment se (re)constitue, s’organise le besoin cinématographique de leur garant créateur ? S’y dégage mieux sa sphère de rêverie et de pensée ? Sa vision, sait-on jamais, excède le dosage méticuleux de l’ombre portée d’un chapeau sur le front d’un affranchi. Melville sort d’un dilemme terrible de l’Histoire : résistance ou barbarie. Sa caméra escorte l’homme ; appréhendé entre ombre et miroir ; comprimé entre hasard subjectif et objectif destin ; assiégé entre lui et lui-même (l’autre lui-même). Or il circule, s’expose.

TEXTES
Pierre Gabaston. Alors Melville ? + Manière(s) de Melville / Marcos Uzal. Trop tard, trop tard / Fabrice Revault. Hard and Soft. à l’os et feutré / Alain Keit. Le cercle bouge / Olivier Bohler. Papillon de nuit, ailes brûlées / Jacques Déniel. Deux âmes à l’épreuve / Frédéric Sabouraud. Le cinéma comme crime parfait / Bernard Benoliel. La guerre continuée / Jean-Baptiste Thoret. Poétique de la télépathie / Serge Toubiana. Le cercle du temps / Jean-François Rauger. Un jeu fatal / Pierre Marie Déniel. Temps réel/Vision du réel + Le formel, le récit, l’émotion / Pierre Laudijois. L’ellipse contre le temps réel / Gilles Mouëllic. La sérénité tragique du jazz / Jean-Marie Samocki. Melville paysagiste + La trahison ou le fantôme de la moralité / Jacques Mandelbaum. De Grumbach à Melville. L’hypothèque juive / Alain Bergala. De l’acteur, point nodal du cinéma melvillien.

Entretiens
« Il te guette, il te regarde, il t’écoute. » Conversation avec Paul Crauchet par Alain Keit / « Il aurait voulu qu’il ne se passe rien. » Conversation avec Alain Corneau par Jean-Baptiste Thoret / Rui Nogueira parle de Melville. Propos recueillis par Pierre Gabaston / Jean Douchet parcourt le Cercle rouge. Propos recueillis par Pierre Gabaston.


Bernard Benoliel
OPÉRATION DRAGON de ROBERT CLOUSE

Coïncidence : le 27 novembre 2010, on fêtera le 70e anniversaire de la naissance de Bruce Lee… Star météorique au début des années 70, phénomène à l’écran sans précédent ni véritable successeur, sa performance d’acteur – si souvent négligée ou caricaturée – avait besoin du cinéma pour s’épanouir. En retour, son corps et son expressivité semblent la définition même du 7e art. Bruce Lee, l’homme-cinéma. […]

[…] De son vivant et depuis sa mort, Bruce Lee est devenu une star et un symbole universels, et ni l’un ni l’autre ne sont prêts de pâlir. Mais c’est toujours la même histoire qui se raconte, les mêmes légendes et anecdotes à longueur de biographies, les mêmes superlatifs, les mêmes falsifications aussi, en particulier celle qui voudrait ne faire de lui qu’un philosophe engagé sur la voie de la sagesse au détriment du combattant et même de « l’enragé », une rage et une fureur dont ses films, heureusement, ont gardé la trace indélébile. Car ce qui compte avant tout, c’est la folle singularité d’une présence d’acteur à l’œuvre dans tous les films où il apparaît.

D’où l’idée d’en revenir aux films, en particulier à son dernier, Opération Dragon (1973), et de les considérer comme l’archive primordiale pour comprendre le mystère d’une telle présence. Et de là, « rapatrier » Bruce Lee dans le champ du cinéma et de l’analyse, pratiquer l’étude à même le corps cinématographique : « Enter the Dragon », enfin.

Ancien critique aux Cahiers du cinéma et pour la revue Cinéma, délégué général du Festival international du film de Belfort pendant cinq années (2001-2005), Bernard Benoliel est directeur de l'Action culturelle à la Cinémathèque française. Il a publié plusieurs ouvrages, sur Anthony Mann (2004), Clint Eastwood (2007) et Yasujiro Ozu (2008). Il a aussi dirigé, en 2004, un ouvrage collectif intitulé le Préjugé de la rampe. Pour un cinéma déchaîné.


Dans Vaudou, mieux que dans n’importe quel autre de ses films, Jacques Tourneur transforme les maigres moyens dont il dispose en matière poétique. Et sa grande modestie ne doit pas nous empêcher de voir cette œuvre comme l’une des plus singulières et audacieuses du cinéma américain. […]

[…] La Féline, titre le plus célèbre de sa filmographie rare et variée, a souvent cantonné Tourneur dans le rôle de maître de l’épouvante et du hors-champ. Mais dans Vaudou, son chef-d’œuvre, le trouble et l’incertitude sont d’une autre nature : le suspense est désamorcé et plus grand-chose ne restera caché. Ici, loin de l’efficacité hollywoodienne, les oppositions et les limites s’abolissent progressivement : comme dans une cérémonie vaudou, tout se déplace, tout s’ouvre, tout se suspend. Et, contrairement à la plus tenace des idées reçues sur le cinéma de Tourneur, tout finit par apparaître.

Marcos Uzal filme en Super 8 et 16 mm depuis l’âge de quinze ans. En attendant de réaliser des films plus longs et plus chers, et puisqu’il est trop tard pour devenir torero, il écrit dans diverses revues (Cinéma, Trafic, Vertigo). En 2003, lors d’une conférence à Manchester, il a tenté d’expliquer les chansons de Boby Lapointe à des universitaires anglais. Il a également collaboré à un ouvrage collectif consacré à João César Monteiro (Yellow Now, 2004). Il codirige la collection Côté films.


« Personne n’a fait autant de bons films, plus vite ou avec moins d’argent, qu’Edgar Ulmer. » Pour beaucoup, l’homme qui réalisa Le Chat noir (classique de l’épouvante avec Boris Karloff et Bela Lugosi), Détour (archétype du film noir fauché) et Le Bandit (génial western intimiste) est un cinéaste insaisissable et inclassable, dont beaucoup de films sont devenus invisibles. Qu’on le tienne pour le cinéaste des minorités (Juifs, Ukrainiens, Noirs américains, Indiens navajos), l’empereur du bis, l’idole d’un culte cinéphilique aberrant ou un électron libre en marge d’un système (Hollywood) qui s’en est toujours méfié, cet ancien assistant de Murnau fut un artiste inlassable et pragmatique, et l’un des plus inventifs du cinéma classique.
[…] Les auteurs de cet ouvrage tentent de soulever quelques-uns des masques sous lesquels Edgar G. Ulmer est resté longtemps dissimulé. Il s’agit de Peter von Bagh, Jean-Loup Bourget, Tag Gallagher, Jean-Pierre Jackson, Bill Krohn, Gilles Laprévotte, Jacques Lourcelles, Paul Mandell, Luc Moullet, Bertrand Tavernier, François Truffaut, Michael Henry Wilson et Peter Bogdanovich (dont on trouvera ici l’entretien fleuve avec Ulmer, jusqu’alors inédit en français). Le livre contient aussi de nombreux témoignages d’acteurs et de proches du cinéaste, ainsi qu’une chrono-filmographie complète.


Sommaire

Préface, par Charles Tatum, Jr. et Jean-Pierre Garcia

Edgar Ulmer, l’empereur du bis, par Jacques Lourcelles
« Que la lumière soit ! », Edgar Ulmer, saint patron des contrebandiers, par Michael Henry Wilson
Mailles du destin et bouts de ficelle, par Luc Moullet
Propos d’Edgar Ulmer
L’énigme du Chat noir, par Paul Mandell
Marge et minorités, liberté et résistance, par Jean-Pierre Jackson
Ulmer sans larmes, par Bill Krohn
Edgar Ulmer et ses « miracles », par Tag Gallagher
Témoignages : Shirley Ulmer, Helen Beverly, Lucille Lund, Ann Savage, Robert Clarke, Brian Aherne, Arianné Ulmer-Cipes
Tours et détours, par Gilles Laprévotte
Le cinéaste nu, par Bill Krohn
The Naked Dawn, par François Truffaut
Un symbolisme épuré, par Jean-Loup Bourget
« Dans les ténèbres, comme Kafka », par Peter von Bagh
Une filmographie rocambolesque, par Bertrand Tavernier
« Nous n’avions rien, hormis des ambitions » :
entretien avec Edgar Ulmer, par Peter Bogdanovich

Chrono-filmographie, par Pierre Guinle, Emanuela Martini, F. John Turner


Nietzsche US.
Délirer un film, à partir de lui. Ici, sauvagement – bien entendu. En rompant les amarres gaiement et effrontément, à l'instar de cette Horde sauvage. Où ce grand fou de Peckinpah serait comme un Nietzsche à l'américaine, accédant à la « joie tragique ».

Fabrice Revault est enseignant (Université Paris 8) et essayiste de cinéma. Il a écrit de nombreux livres – sur Dreyer (Gertrud, Yellow Now), Ozu (Gosses de Tokyo, école et Cinéma), Ruiz (Dis-Voir), la Lumière au cinéma (Cahiers du cinéma), le cinéma « moderne » (Yellow Now). Il a piloté un ouvrage posthume de Philippe Arnaud (Les Paupières du visible), et un ouvrage collectif sur João César Monteiro, tous deux chez Yellow Now. Il dirige, avec Marcos Uzal, la collection « Côté films ».

Critique

Au fil des années, les purs essais sur le cinéma, ou sur l’art en général, se sont faits plus rares. L’édition s’est clairement scindée en deux voies bien distinctes l’une de l’autre : l’ouvrage de vulgarisation, d’une part, et le livre d’analyse spécialisé et pointu, d’autre part…
Une séparation des genres qui résume un certain état de notre société : allons à l’essentiel, ne perdons pas de temps en palabres inutiles, et laissons là les rêveurs et les amoureux.
C’est bien pourquoi le court livre de Fabrice Revault nous procure un plaisir immense : comme le film auquel il s’attache, cet essai prend l’exact contre-pied de la tendance actuelle et se permet de nous exposer dans les grandes largeurs les impressions de l’auteur sur le travail de Sam Peckinpah. Et fait ressortir par là même tout ce qu’un cinéphile peut ressentir de fétichisme énamouré à l’égard d’un film chéri.

Réalisé en 1969, à peine deux ans après que les valeurs du code de censure Hays aient définitivement explosées à la suite de Bonnie & Clyde, La Horde sauvage repousse encore plus loin les limites de la violence et, surtout, de la subversion. 
À l’entame de la lecture, on peut s’étonner de voir apparaître la figure de Nietzsche, se demander si l’on n’est pas tombé une fois de plus sur un de ces ouvrages qui se servent des œuvres pour mieux mettre en avant les qualités du penseur que nous suivons. Et puis, il s’avère bien vite que Fabrice Revault ne convoque le philosophe allemand que pour parler du film de Sam Peckinpah, pour expliquer le caractère de l’action de La Horde sauvage, pour mieux définir les personnages. Dès lors, c’est une façon de pensée qui nous est exposée, et le film ressurgit à nos mémoires de façon neuve et, si on le décide puisque l’auteur nous en laisse le choix, plus éclatante.
L’essai sur La Horde sauvage est avant tout une affaire de style. Et Fabrice Revault – en souvenir sans doute d’un longue tradition journalistique familiale - n’hésite pas à en user, à tel point que le livre s’éloigne souvent de l’analyse pour entrer plus dans les considérations et les points de vue. La position adoptée par l’auteur relève d’une implication si intense que le texte prendrait presque parfois des allures de roman de fiction. Tout ceci ne fait bien sûr que renforcer le plaisir qu’on éprouve à la lecture, et nous projette nous aussi au cœur du film mythique dont il est avant tout question ici.

Jamais Fabrice Revault ne perd de vue l’œuvre qui sert de matériau à son propre travail. Généreusement, il dévoile, un peu comme on pourrait se mettre à nu, ses sentiments intimes sur le film de Sam Peckinpah. Enfin, un critique s’expose et son absence de consensus fait presque figure de témérité. La grande force des propos développés par l’écrivain tient en ce qu’ils sont aisés à comprendre (non dissimulés qu’ils sont derrière une barrière référentielle absconse) et qu’ils appellent à la discussion. Car dans tout ce qu’il dit et pense, il semblerait que Fabrice Revault nous autorise à ne pas forcément être d’accord. 
Entièrement nimbée de l’ambiance et des images du film, La Horde sauvage par Fabrice Revault est une dérive vers l’univers aride et joyeusement mortel de cette bande de hors-la-loi jouisseurs mais profondément humains. L’auteur invite Nietzsche ou Deleuze à apporter leur contribution à la signification du récit, mais toujours à l’aune de ce qu’a voulu engendrer le seul véritable auteur : Peckinpah, et personne d’autre.
Cette Horde sauvage de Sam Peckinpah est donc à la fois un vibrant hommage, un texte à l’écriture poétique et délicate et, avant tout, la transmission d’un amour passionné du cinéma. Ce qui prouverait qu’il existe encore un espace d’expression sincère et utile hors des rapports d’anecdotes, listes vaines et commentaires de box-offices… Ce qui nous réjouirait presque autant que l’apparition d’un film aussi libre que celui-là.


Laurent Cuiller

Extrait

Rire de mourir 


Marche tragique, détachée, riante 
Pacotille adolescente : merveille, trésor. 
Être une bande à part, hors la loi commune.
 Être une horde sauvage, tout s'autoriser, tout ravager, et puis crever.
 Être des desperados. S'attaquer aux riches, prendre leur fric, s'emparer de leur train, de leurs armes. Aider les pauvres, les op­primés, la révolution. Massacrer la soldatesque du pouvoir. Y laisser sa peau.
 Être des gros durs, entourés de gros cons que l'on entourloupe. À l'occasion et en prime, être des gros porcs, entourés de gros seins dont on se bâfre. Vivre dans la violence et dans la débauche. Sans lendemain, voués à une mort prochaine.
Le savoir, et la rejoindre en riant.

Souveraineté jouisseuse et rieuse. Règne solaire de ces marginaux, de ces individus sans comptes à rendre, affranchis des liens sociaux. Triomphe de l'individualisme, bien américain ? Triomphe de l'individu : du Nietzsche à l'américaine !
 Triomphe de l'anarcho-individualisme, mais en bande, que l'on retrouvera d'ailleurs dans le Convoi (Convoy, 1978), où les routiers remplaceront les cavaliers, heureux d'être hors la loi, prêts à en crever.

L'intégralité des textes sont issues du site internet de Yellow Now, sur lequel vous pouvez découvrir le restant du catalogue avec Lynch, Bergman, Renoir, Antonioni,etc...

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