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Le Monde sur le fil - Rainer Werner Fassbinder (1973)



Comme toujours avec Carlotta, on est intrigué, étonné et enchanté. L'éditeur vient de déterrer un film d'anticipation des années 70 et lorsqu'il s'agit de cette décennie qui d'autre que Jean Baptiste Thoret* peut nous éclairer d'une critique excitant la curiosité de n'importe quel cinéphile.

Simulacres et simulacrons

On pensait tout connaitre, ou presque, de l'œuvre pléthorique de Fassbinder, mais sa fondation et l'éditeur Carlotta viennent d'exhumer et de restaurer un joyau que l'on croyait perdu, Le Monde sur le fil, téléfilm fleuve (3h30) réalisé en 1973 et adapté d'un roman de SF de l'Américain Daniel F. Galoue, Simulacron 3. C'est ici l'unique incursion de Fassbinder dans la science-fiction, ou plutôt l'anticipation, genre alors très en vogue aussi bien aux États-Unis qu'en France, et dont l'auteur de Berlin Alexanderplatz, à la fois sous influence et totalement original, propose une version passionnante, au mitant des Larmes amères de Petra von Kant et Tous les autres s'appellent Ali.
Ni précisément daté (un futur proche), ni situé (le film fut tourné à Paris et dans une Défense alors en construction), Le Monde sur le fil plonge dans les arcanes d'un institut de cybernétique et de futurologie qui vient d'accoucher de Simulacron, un univers électronique jumeau du réel (avec avatars humains capable de prédire l'évolution des événements politiques et sociaux de la planète. A la suite de la mort mystérieuse de son créateur, Siskins, le Mabuse de l'entreprise, nomme Fred Stiller, son assistant (Klaus Löwitsch), à la tête du projet. Mais ce dernier décide d'enquêter sur la mort de son mentor et succombe bientôt au vertige du paranoïaque qui découvre, seul contre tous, une invraisemblable vérité.
Truffaut avait son Fahrenheit, Godard son Alphaville, Antonioni son Identification d'une femme (si l'on se souvient que le cinéaste, interprété par Tomas Milian, travaillait à un projet de film post-2001 sur le désir féminin), Resnais son Je t'aime, je t'aime, Fassbinder a donc eu son Monde sur le fil, fable dystopique dans laquelle le réalisateur de Querelle trouve un terrain de jeu idéal, mais aussi ludique, au déploiement de ses obsessions. Ici, comme dans tous les films de Fassbinder, les puissances du faux s'agitent en vase clos, le hors-champs n'héberge aucun salut, et les individus, captifs d'effet miroir où vrai et faux se confondent, prennent douloureusement conscience de n'être que d'impuissantes marionnettes agies par les fils d'un Système oppressif ou de l'Histoire (le nazisme, qui fait ici subtilement retour).
Dans le Monde sur le fil, Lili Marleen croise l'univers kitsch et sous contrôle du Prisonnier, les fantômes de Metropolis s'invitent dans l'univers aseptisé de Rollerball et les fables glauques du Cronenberg des années soixante-dix (Crimes of the future, Frissons) conversent avec les fictions théoriques de Baudrillard - rappelons que Simulacres et simulation, que le film évoque dans son principe 'ne réalité concurrencée par sa doublure virtuelle, fut écrit dix ans après. Rien d'étonnant donc, que Le Monde sur le fil, 37 ans après sa réalisation, n'ait pas pris une ride. Visuellement : plutôt que de parier sur le look du futur et ses gadgets démodés (le syndrome Orange Mécanique), Fassbinder prélève dans le monde de l'époque la matière d'une esthétique minimaliste et réaliste. Intellectuellement : le film revitalise la métaphore platonicienne de la caverne et anticipe le cauchemar contemporain d'une réversibilité parfaite entre l'artifice et la réalité. Ici, tout fait vrai mais sonne un peu faux, les copies ont des airs d'originaux, enfin, les poupées russes sont allemandes mais s'emboitent toujours à l'infini. Une œuvre Matrix et majeure.


En bonus

> « Un regard d’avance sur le présent »
documentaire de Juliane Lorenz, productrice de la restauration du film (49mn)
Un documentaire exceptionnel dans lequel Juliane LORENZ, productrice de la restauration du MONDE SUR LE FIL et présidente de la Rainer Werner Fassbinder Foundation, revient, entre autres, sur le procéssus de restauration aux côtés du célèbre directeur de a photographie Michael Ballhaus (Gangs of New York), sur l'écriture du scénario avec Fritz Müller-Scherz et sur la thématique de la réalité virtuelle avec un spécialiste de la science-fiction.

> INCLUS UN LIVRET EXCLUSIF (36 pages) LE MONDE SUR LE FIL : Retours sur la matrice Fassbinder.

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*Critique parue dans Charlie Hebdo #955 du 6 octobre 2010 - p12.

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